Si j’ai déjà couru des épreuves de classe 2 par le passé (la Ronde de l’Isard l’année dernière, le Rund um Frankfurt au début du mois de mai), elles étaient en réalité toutes les deux réservées aux coureurs espoirs. C’est donc la première fois dans les faits que je cours face aux coureurs professionnels dans ces épreuves à mi-chemin entre les deux sphères. Parmi mes adversaires du jour, qui monopolisent toute l’attention des suiveurs, les coureurs de l’équipe continentale professionnelle IAM Cycling Team, qui participera cet été au Tour de France. Afin de donner un point de comparaison simple aux non suiveurs, je prends donc le départ, aussi fou que cela puisse paraître… En même temps que des coureurs qui courront le Tour de France cet été.
Pour autant, aucune raison de nourrir de compexes face à une telle adversité. Nous restons la réserve de l’équipe pro World Tour AG2R la Mondiale et nous devons d’honorer notre rang. De plus, de mon côté, cette course sert avant tout de préparation finale avant la seconde épreuve de classe 2 qui s’annonce la semaine prochaine et qui elle est le véritable objectif de cette période de la saison : le Rhône-Alpes Isère Tour. Il s’agira tout de même d’être à la hauteur de la compétition, car le parcours de 33 kilomètres à effectuer 5 fois s’annonce lui aussi particulièrement difficile avec une difficulté dans les dix premiers kilomètres qui accapare toute l’attention : une montée progressive de 4 à 5 kilomètres, qui se termine par un passage assez terrible de 6-700 mètres à 12% moyens. L’an passé, l’équipe IAM avait tuée la course, qui se courrait sous la pluie, en faisant exploser le peloton au premier passage. Un groupe d’une quinzaine s’était alors détaché d’entrée et le suspense n’avait pas duré longtemps, les professionnels signant un quadruplé avec la victoire en solitaire de Marcel Wyss.
Par conséquent, cette année, le départ et la première ascension accaparent l’attention de tous les coureurs et directeurs sportifs. Tout le monde suit la même consigne : se placer au maximum à l’approche de la montée et tout donner pour basculer le mieux placé au sommet. Le départ est donc très rapide, le peloton tendu, et l’ascension ne faillira pas aux prévisions : le rythme est tout simplement extraterrestre, l’ensemble de la montée étant couverte par les premiers coureurs à plus de 33km/h. Le peloton explose en mille morceaux comme prévu. Un petit groupe bascule avec de l’avance dans lequel nous avons Nico Denz, Jordan Sarrou et Julien Roux. De mon côté, je gère ma montée au mieux pour basculer en bonne position dans un second groupe avec Benjamin Jasserand et Gabriel Chavanne. Je reste serein, notre groupe recolle au premier quelques kilomètres plus loin. Des 160 coureurs présents au départ, il ne reste déjà plus que la moitié dans le peloton principal, et j’en suis. Une seconde course peut alors commencer.
Suivant les consignes de course et profitant de mes bonnes sensations, je cherche à m’échapper dans la partie de liaison jusqu’à l’arrivée. Les autres chambériens sont eux aussi hyperactifs en tête de peloton. Je parviens à prendre un petit groupe avec Gabriel mais le rythme est tellement élevé qu’aucune échappée ne prend plus de cinq secondes. Après le premier passage sur la ligne d’arrivée, je me contente de rester placé, afin d’aborder le plus sereinement possible la seconde montée.
Mais cette fois-ci, le rythme est nettement moins élevé. Sur une grande partie de l’ascension, le peloton monte compact à une allure modérée. Dans la partie la plus raide, sans que celui-ci n’accélère nécessairement, la pente fait son effet et de nouveau, quelques différences se font. Je suis mieux placé qu’au passage précédent et je choisis de rester cette fois-ci en réserve sur toute la partie descendante. Le peloton a encore perdu quelques hommes, mais moins qu’au précédent passage. A l’avant, une première échappée sérieuse se forme avec la présence de Nico Denz pour nous, sans doute notre meilleur élément. De mon côté, les sensations s’améliorent lentement. La situation, jusqu’ici, apparaît comme idéale. L’échappée s’octroie jusqu’à 2’50 d’avance. Je compte les tours, et à chaque passage réussi de la montée, je me dis : plus que quatre, plus que trois, plus que deux.
Mais une quarantaine de kilomètres plus loin, à l’issue du 4e passage de la montée qui aura été légèrement plus rapide et qu’une nouvelle fois, j’aurai su soutenir ; l’échappée de Nico se fait soudain reprendre. Celui-ci, décidément très fort, ressort seul derrière un nouveau groupe d’échappée. Je fais preuve de flair et d’opportunisme (enfin) lorsqu’à un peu plus de 40 kilomètres de l’arrivée, je prends la roue de deux italiens qui sortent du peloton. A trois, nous parvenons à boucher une vingtaine de secondes sur le groupe de contre qui venait de se former. Lorsque nous revenons dans les roues quelques kilomètres plus loin, notre avance est déjà de 50 secondes sur le peloton et très vite, les voitures de directeurs sportifs s’installent à notre suite. Nous revenons sur Nico, dont je me demandais où il était passé : en réalité, il était encore seul en contre derrière l’échappée de 6-7 qui persistait en tête.
Bientôt se présente le dernier point stratégique de la course : le 5e et dernier passage de l’ascension, qui après 150 kilomètres, parait difficile encore davantage. De mon côté, depuis plusieurs minutes, je sens les crampes monter. Si je me sens encore bien physiquement, j’ai peur que celles-ci ne brident largement ma progression pour le final. Les premières rampes se passent sans souci pour ma part, je reste placé et attentif dans le groupe qui s’attaque et qui ne monte pas très vite, même si le peloton derrière n’est toujours pas en vue. C’est dans la partie raide que la fin de course va se décider. Cette fois-ci, je suis à la peine. Je perds quelques mètres sur la tête du groupe. Nico se bat lui aussi avec son vélo à côté de moi. Je suis plus frais que lui, mais lui n’a pas de crampes alors au final, nous nous retrouvons à peu près du même niveau. Il supporte par conséquent mieux les accoups et plein de bonne volonté, il relance notre groupe un peu trop fort à la bascule. Nous nous regroupons finalement à quatre un peu plus loin que le reste du groupe qui s’en va progressivement. On roule comme on peut, le concours des deux autres coureurs n’est pas des plus efficaces, mais notre coup de pédale à nous aussi est heurté. L’arrivée n’est plus qu’à 15 kilomètres à peine. Bientôt, deux coureurs d’IAM Cycling reviennent sur nous comme des balles : Yoann Tschopp et Marcel Wyss, le vainqueur de l’année passée. Ceux-ci ne veulent pas collaborer. Lorsque je demande pourquoi, ils me répondent qu’ils ont un coureur à l’avant. Décevant de la part de coureurs de ce niveau… D’autant plus que Wyss nous contre violemment un peu plus loin. Nico empoigne son honneur à deux mains et se jette avec un peu de retard dans sa roue. Ils reprennent les deux coureurs que nous avions en point de mire depuis plusieurs kilomètres. Nous, les quatre restants, nous ne pouvons plus qu’attendre le peloton qui point quelque part derrière nous, et qui se rapproche à toute allure.
Au bord des crampes, je parviens à basculer dans les roues dans la dernière descente. Me voilà sauvé. Cette fois-ci, je profite des portions de roue libre pour boire, m’étirer, m’assouplir allègrement. Mon dernier objectif va être de m’octroyer la meilleure place possible au sprint. Devant, l’équipe BMC Development met en route pour tenter de revenir sur les coureurs à l’avant. Le petit groupe de Nico sera repris à trois kilomètres de l’arrivée alors que le reste de notre contre, lui, ira jusqu’au bout. Je fais une grossière erreur de jugement en pensant que le plus intelligent serait de me replacer dans la portion plane avant l’arrivée, or sous le joug de l’équipe BMC, le peloton est en file indienne avec le vent qui souffle de côté. Mal placé dans la bordure, je prends une crampe. Je dois lâcher les roues et ce petit temps de latence m’est fatal : il reste trois kilomètres, et je ne reverrai pas le peloton avant la ligne d’arrivée.
Je concède une petite minute sur le reste du peloton de 40 coureurs et me classe finalement 56e de la course. Cette erreur finale me prive bêtement d’une place dans les 30 ou 40 premiers, mais l’essentiel est ailleurs. J’ai évolué aujourd’hui, à un niveau nettement supérieur que celui auquel je m’attendais et c’est d’excellente augure pour les échéances, de très haut niveau également, qui arrivent. J’ai à nouveau prouvé que lorsque je suis en forme, je suis capable d’être au niveau pour peser sur des courses d’un niveau extêmement élevé, et ce même sur des parcours difficiles.
Je vais courir dans la foulée à Belley sur une épreuve toutes catégories, pour laquelle j’espère avoir suffisamment récupéré. Ensuite, il ne restera plus que trois jours de repos avant l’échéance du Rhône-Alpes Isère Tour, à l’occasion duquel je tiendrai un carnet de bord chaque soir sur le site Vélo101.