Voyage vers un autre temps, l’Ukraine, florilège d’anecdotes
Voyage vers un autre temps, l’Ukraine, florilège d’anecdotes

Voyage vers un autre temps, l’Ukraine, florilège d’anecdotes

Voyage vers un autre temps

Nous avons quitté Ciuc jeudi peu après midi, à quatre seulement : mon « colocataire » Abel, Szebestyen dit Szabi, le jeune mécanicien dit « ichti » ainsi que notre directeur sportif français, homme à tout faire, Florent Horeau. Retrouver une présence francophone lui a sans doute fait autant de bien qu’à moi ! Destination Vinnytsia, au sud de l’Ukraine, à quelques 350 kilomètres de la frontière roumaine. Je ne savais pas alors que j’allais m’embarquer dans l’un des road-trips les plus fastidieux de ma jeune carrière de cycliste !

Il nous a déjà fallu plus de six heures de route pour atteindre la frontière nord de la Roumanie, et rejoindre la douane. C’était probablement la première fois que je quittais l’Union Européenne par véhicule terrestre, qui plus est, faut-il le rappeler, vers un pays en guerre. Plusieurs kilomètres avant le poste, une longue file de camions s’était déjà formée. Nous avons attendu au total une heure trente, et après trois fouilles complètes, payée la taxe écologique de 70 centimes d’euro en monnaie locale (une vingtaine de hryvnia) nous avons pu poursuivre notre périple en territoire Ukrainien. De quoi se rendre compte que Shengen constitue un progrès d’envergure ! Mais ce n’était rien encore en comparaison de ce qui nous attendait de l’autre côté.

De l’autre côté, le paysage change totalement. Si l’on pouvait encore se sentir en Europe jusque-là, ce n’était plus possible à présent. Les grands axes sont limités à 60km/h, mais de toute manière, il ne serait pas possible de rouler plus vite à cause des trous et des nids de poule. De longues plaines vallonnées parsemées de champs et de bosquets encore vierges entourent la route, dont l’une des voies disparaît parfois sous la végétation. De vieilles demeures apparaissent çà et là, à l’architecture d’un autre temps et aux allures étranges de kremlin miniature. Nous sommes arrêtés par les policiers à la tombée de la nuit. Simple contrôle de routine, en fin de compte, et nous pouvons repartir. Au fil des kilomètres, la nuit s’installe et les routes rétrécissent de façon inquiétante, jusqu’à ce que nous embarquions carrément sur un chemin de terre.

Notre progression se poursuit ainsi pendant une quinzaine de kilomètres. Il fait désormais nuit noire. Le chemin débouche finalement sur une portion goudronnée et nous sommes soulagés. Mais une cinquantaine de kilomètres plus loin, le GPS nous oriente à nouveau à travers la forêt. Peu motivés, nous nous engageons malgré tout. Nous franchissons une porte au milieu de nulle part qui nous donne l’impression de nous engager dans une autre dimension. La voie ne tarde pas à se rétrécir et à s’enfoncer dans une crevasse, bardée de trous immenses. Nous ne pouvons plus faire demi-tour avec le fourgon, condamnés à espérer que le ruisseau plus bas soit bien traversé d’un pont carrossable. Quelques photos valent mieux qu’une longue description.

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Finalement, nous en sortons indemnes. Peu de temps après avoir retrouvé du bitume, nous atterrissons face à un impressionnant barrage hydraulique, que notre itinéraire nous force à traverser. À l’entrée, un panneau stop se dresse au milieu de la route. Nous nous arrêtons. Des policiers nous font signe de stationner. Ils contrôlent le véhicule pour la seconde fois. Ils sont interpellés par le permis de conduire de Florent, qui est un duplicata temporaire délivré par l’ambassade française. Cela ne leur convient pas, il faut descendre. Ils réclament cinq cent euros cash, si nous ne voulons pas payer mille euros d’amende pour avoir « grillé le stop ». Nous parvenons à négocier deux cent cinquante euros, mais pas moins. Impossible de s’y soustraire sans avoir payé. À peine cinq heures que nous sommes en Ukraine, et la corruption nous apparaît déjà au grand air. Ces policiers étaient vraisemblablement des faux.

Nous sommes ainsi arrivés à Vinnytsia à deux heures du matin plutôt qu’à onze heures du soir, au terme d’un périple surréaliste qui nous restera probablement longtemps en mémoire.

L’Ukraine

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La cérémonie d’ouverture et le critérium se veulent assez spectaculaires

Le pays nous est apparu sous un jour meilleur le lendemain, à l’occasion du critérium d’ouverture, qui lançait le week-end de course avec une cérémonie d’ouverture en grandes pompes. J’ai trouvé le contraste saisissant entre l’Ukraine de la campagne et celle de la ville, qui survient d’un seul coup au détour d’un virage, comme si l’on avançait soudain de trente ans. Vinnytsia est environ la douzième ville d’Ukraine avec aux alentours de cinq cent mille habitants. Elle revendique d’ailleurs la plus belle fontaine d’Europe, que nous n’avons pas eu le temps d’apercevoir. Plusieurs tramways traversent la ville, organisée autour d’un grand axe principal. Partout fleurissent les drapeaux ciel et jaune, et ces deux couleurs sont omniprésentes : sur les façades, les voitures, les stands, les panneaux… On sent une identité nationale très marquée et revendiquée. Un des coureurs de la sélection nationale nous demande avec avidité ce que l’on pense de son pays. Je lui réponds que c’est une découverte pour moi, que je le trouve resplendissant mais qu’il faut faire quelque chose pour les routes !

Artem, notre Ukrainien, explique que c’est un phénomène très récent, et qu’après la période soviétique, l’Ukraine est seulement en train de se reconstruire, car les « fucking old shits » comme ils les appelle, comprendre ceux qui ont connu l’ancienne URSS, continuent à en inculquer les valeurs aux jeunes. Mais cette génération vierge de toute cette influence arrive à maturité, c’est-à-dire la mienne, celle des années 1990. Avec la mondialisation, il est très optimiste quant au développement de l’Ukraine, évoquant notamment la progression de certains artistes et musiciens sur la scène internationale comme porte de sortie pacifiste.

Tous les transferts se font à vélo dans les rues de Vinnytsia
Tous les transferts se font à vélo dans les rues de Vinnytsia

Florilège d’anecdotes

Les secteurs pavés de Paris-Roubaix font pâle figure à côté des secteurs Ukrainiens. Nous avons emprunté un secteur en mauvais état de plus de 10km de long. Pour information, le secteur de Quévy, le plus long de Paris-Roubaix, mesure 3700m.

Aux postes de frontière entre l’Ukraine et la Roumanie, les fonctionnaires ne parlent qu’Ukrainien. Ce qui est pratique, dans le cadre de leur travail.

Lors de nos trajets aller et retour en territoire ukrainien, nous avons été arrêtés par les policiers pas moins de quatre fois. En plus de notre arnaque du voyage aller, trois fois par des vrais policiers : deux contrôles de routine et un excès de vitesse.

Notre mécanicien Ichti a tenté de soudoyer les policiers locaux avec des packs de bouteilles d’eau. Ne me demandez pas d’explication. Il s’en est tiré finalement avec vingt euros d’amende, qui ont bien évidemment atterri directement dans la poche de l’agent.

Trois jours plus tard, il a pu apprendre son licenciement de la bouche du patron. Je ne sais pas par quel moyen il est resté trois ans dans l’équipe, car il est vraiment mauvais. Ce n’est pas seulement qu’il ne travaille pas : notre directeur sportif est obligé de le réveiller dans la voiture.

Certainement parce que trouver un mécanicien compétent et disponible est très difficile. Petit coup de chance, nous avons trouvé un ukrainien à l’occasion, qui sera testé à ses nouvelles fonctions dès le Tour de Serbie. Des dires d’Artem, « il ne parle pas bien anglais mais de toute façon il connaît très bien son travail ». Réponse du patron : « ça me va, un mécano, moins il parle, mieux il bosse ».

De retour d’Ukraine, nous sommes finalement arrivés à deux heures du matin à Ciuc. Rajouter une demi-heure de voiture pour atteindre notre pension à Harghita, à 1300m d’altitude. Sauf que voilà, la pension est fermée. Après avoir eu peur d’avoir à dormir dehors – il y a un grand nombre d’ours dans la région – nous avons finalement trouvé un moyen pour redescendre, et un hôtel pour dormir, à quatre heures trente. La logistique roumaine réserve un certain nombre de surprises.

3 Comments

  1. Pierre

    A propos des galères :
    “On ne voyage pas pour voyager, mais pour avoir voyagé” A.Karr
    A propos du road trip :
    “Le vrai voyage, c´est d´y aller. Une fois arrivé, le voyage est fini. Aujourd´hui les gens commencent par la fin” H.Verlomme

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