#4 UCI 1.1 la Bernaudeau Junior
#4 UCI 1.1 la Bernaudeau Junior

#4 UCI 1.1 la Bernaudeau Junior

 Depuis plusieurs années aucune équipe rhônalpine n’a pris le départ de la Bernaudeau junior… C’est chose faite cette année pour la première fois et je pourrai en profiter, puisque le pôle nous y emmène. En ce qui me concerne, c’est le tout premier objectif de la saison et même si je ne suis pas encore au top je suis déjà en forme, bien préparé et capable de faire quelque chose. Autrement dit je n’y vais pas pour bosser mais bien pour faire une vraie place… Le parcours est magnifique, en ligne sur 100km avant de s’achever sur 5 boucles de 7,2km. Les 30 premiers et derniers km du parcours sont plats & sur des routes larges et droites, vent de dos. Au milieu, le tracé emprunte les routes vallonnées de la région de Chantonnay, les mêmes qu’au championnat de France pros de 2006 et de l’an passé. Le circuit final est vallonné lui aussi. Autrement dit, des routes qui me conviennent.
Le départ est impressionnant, avec à la chaîne un contrôle de braquets et une présentation de l’équipe, opération que les organisateurs auront à répéter… 36 fois. les 199 palmarès énoncés lentement par le speaker n’en finissent pas, avec des champions d’un peu de tout. Des belges, des autrichiens, des tchèques (et surtout des français). Nous voilà donc petits parmi les grands, mais même pas peur. Aujourd’hui il faut terminer la série noire, montrer que j’ai le niveau pour marcher au niveau national et pas que sur les critos de la région lyonnaise !
Nous voilà lancé pour le départ fictif. Une belle connerie, puisque on a 3km à faire sur des routes très étroites en pleine campagne avec la voiture de direction de course qui nous bloque à 25km/h. Ca, c’est pour la tête de course, parce que 150 coureurs plus loin quand un virage passe c’est d’abord à l’arrêt pied à terre et compagnie ; puis ensuite une grosse relance qui n’a rien de fictive. C’est la foire : on chute, on crève, on double ; par la route, par les bas côtés, par l’herbe, par les fossés, par les champs. C’est la guerre pour se replacer comme si une arrivée massive s’annonçait sur la ligne, pourtant la course n’a même pas encore démarré. C’est le cas un peu plus loin et tout le monde pousse un soupir de soulagement.
Petit a petit, le peloton s’affole, le temps que l’onde de choc d’une attaque se répercute à l’autre bout de l’essaim. Après deux, trois virages on quitte le bourg de Saint Maurice le Girard pour bientôt couvrir le premier kilomètre de course. Et déjà, une première chute massive juste devant moi que j’évite pour quelques centimètres ! tout le peloton est cassé en deux et un tas humain s’agglutine sur la route derrière moi maintenant. Gros sprint pour recoller ; c’est bon. Je me retrouve donc dernier du peloton, derrière tout le monde est un par un comme si on avait déjà monté un col. Le temps de retrouver les automatismes et que la route s’élargisse franchement, et me voilà de retour en tête de peloton à la faveur d’une petite bosse. Tout de suite je vois un coureur attaquer et Landry qui se jette dans sa roue, ça s’arrête, et tous les polistes quasiment surgissent à l’avant pour contrôler. On sait bien que ce n’est pas très utile, mais ça soude une équipe, et une telle échappée de début de course peut très bien être décisive pour la suite. Sur 5 coureurs devant on en a 1, autant le protéger. Malheureusement, le compagnon de Landry est un cran en-dessous et ils plafonnent à quelques longueurs d’un groupe de 3 parti un poil plus tôt, sans rentrer. Derrière, ça commence à s’affoler un peu. L’atmosphère est étrange : tout le monde sait qu’il reste 130km à couvrir et donc tout le monde est sur la défensive… Mais ça démange quand même, et quelques uns craquent. Notre boulot est de contrôler. Après deux ou trois attaques dans la roue desquelles je me jette, je laisse ma place aux autres : Joshua Arthur et Romain qui sont remontés devant eux aussi. Et tout de suite dès que tu te laise un poil déborder, tu finis à droite de la route, à dégringoler à l’autre bout du paquet. Pas d’affolement, au vu de la largeur de la route, rien de dangereux ni de définitif, au contraire. Quand on recule un peu dans les 50 premières places, on aperçoit un peu tous les grands noms bien au chaud. A force de petits sacs à l’avant, on se rapproche, puis on avale la tête de course, Landry compris. Pas de regret pour autant ! Petit à petit, on se rapproche de Chantonnay et des villes alentour. Je remonte sur la gauche de la route dans le sillage d’une moto qui essaie de se frayer un chemin. A l’arrivée dans le village ça frotte beaucoup pour se replacer et le rythme est bien plus soutenu. Les choses sérieuses commencent !
Un virage à droite après la sortie de Chantonnay et nous voilà partis pour 40km de routes étroites et sinueuses, avec les principaux GPM. Quelques centaines de mètres passent et les attaques fusent de tous les côtés. Ce ne sont plus les mêmes coureurs que l’on retrouve devant. Après la constitution d’un ou deux groupes qui se font reprendre je place ma toute première attaque sur la droite de la route et rejoins un groupe d’une dizaine. On a peu d’avance mais notre groupe est conséquent et possède de beaux éléments. Trop peut-être puisqu’après quelques kilomètres le peloton revient sur nos talons, au pied de la première côte de la journée.
Elle est raide, très raide et je me rends compte qu’à courir à l’économie j’avais oublié que j’étais limité, ce que mes jambes me rappellent après un retour à l’avant un peu optimiste. Je rétrograde d’abord un peu, puis quand je vois que ça ne bascule toujours pas je rétrograde cette fois beaucoup plus d’un coup. Je me suis mis dans le rouge. Alors je m’arrache, je me mets à 110% sans penser à ce qui se passera dix secondes plus tard, la douleur est de plus en plus forte… Puis ça se calme un peu, c’est comme si je rouvrais les yeux. Je me retrouve en quarantième position environ mais loin de la tête puisque tout le peloton est étiré à la limite de casser. Le vent sur les plateaux en rajoute une couche et le moindre écart pourrait me remettre dans le rouge. Heureusement je ne dégringolerai pas plus que ça et remonte même un peu après un temps d’arrêt. Un autre groupe d’une dizaine a pris notre relais à l’issue des deux premières difficultés qui se sont enchaînées l’une après l’autre, les deux plus raides de la course. Dans peu de temps, rebelote, j’en suis bien conscient alors après m’être refait la cerise, je retourne tout de suite en tête à la faveur d’un temps mort. Un coureur à droite rétrograde une main en l’air, après un passage à niveau : il a crevé. Retour temporaire sur une route plus large balayée par un vent violent, je suis bien content d’être de nouveau dans le noyau dur en tête de peloton puisque à l’arrière ça casse dans tous les sens. On n’est plus qu’une vingtaine à peu près groupés, échappée reprise ; derrière tout est en file indienne ! Ca me rassure un peu. Etat des lieux : nous ne sommes plus que 3 du pôle, Landry, Romain et moi. Lorsque ça attaque Romain va immédiatement dans les coups. Je sais que c’est l’homme à suivre seulement il est de mon équipe alors j’ai le devoir de le protéger. Lorsque il prend quelques mètres avec des petits groupes, j’essaie de casser un peu les offensives, sans pour autant trop en faire. La route décline et c’est à cet endroit précis que se forme un petit groupe tout à fait semblable à tous les autres jusqu’à maintenant. Ils sont 3 : Kévin Ledanois, Félix Pouilly et Anthony Turgis. En ce qui me concerne je suis un peu derrière et je ne les vois pas partir. C’est quand je me replace dans cette descente large et rapide, que je vois un coureur qui s’apprête à attaquer, Thomas Boudat du pôle France et que je me décide à sortir avec. A ce moment précis un belge me barre la route et manque de m’envoyer au fossé. Je me résigne alors à les regarder filer en me disant qu’en descente de toute manière ça n’ira pas loin.  Je me mords maintenant les doigts de ne pas avoir été plus loin : j’étais à deux doigts à cet endroit de prendre la bonne échappée. Fin de la descente et début d’une autre montée toute aussi large. Après plusieurs centaines de mètres de montée cette fois les jambes sont de nouveau là et j’ai un moment où je suis très à l’aise. En tête de peloton derrière les deux groupes qu’on aperçoit encore tout près, il y a quelques attaques, mais rien de transcendant.
De derrière je me décide alors à sortir à mon tour, je suis cette fois très à l’aise et me retrouve un temps seul en chase patate au basculement avant d’attendre quelques coureurs juste derrière. Ils me font signe qu’ils ne passeront pas, puis on se fait reprendre. Devant, le groupe qui s’est formé avec Boudat, Lecuisinier et 3 autres coureurs se regroupe avec celui des trois précédents. 8 coureurs en tête. Après cette petite montée finalement décisive, la route s’aplanit un temps. Deux ou trois attaques encore, puis je me jette dedans. Virage à droite et retour sur des routes mauvaises et étroites… Florian Sénéchal tire notre petit groupe de 5, 6 coureurs sans se poser de questions. Je lui prends un relais ridicule par politesse avant de retourner me placer en queue de groupe. Là, ca fait très mal. Ce petit groupe a de la gueule et je fais presque figure d’intrus. Le vent nous étire tous, mais ça ne décourage pas Verardo qui prend maintenant les commandes, imité par Isérable… Je m’écarte, à bout. Voilà la seconde occasion d’intégrer la bonne que je laisse filer, sans le savoir encore bien sur. On se retrouve dans une descente très étroite. En bas Sénéchal prend un virage de façon assez médiocre ce qui me permet de presque recoller à la queue du groupe. Surprise : un passage à gué… Le peloton m’avale au pied d’une montée qui a l’air difficile. Content d’être à cette place c’est moi qui mène toujours le tempo, mais un tempo modéré, sinon je vais me faire sauter. Un coureur attaque et je ne peux y aller alors d’autres s’en chargent. C’est encore étiré et ça menace de craquer un peu à n’importe quel moment. La route se redresse trèès lentement, trop à mon goût et quand ce n’est plus la pente, c’est le vent. J’aperçois Romain placer une attaque très violente en tête de peloton, tout seul. Il ne se relève pas et quand on tourne à gauche pour revenir cette fois définitivement sur la grande route, on prend le vent de dos de nouveau : je comprends mieux son attaque vent de face tout à l’heure… Il s’envole seul lui aussi puisque chez nous, ça ne roule plus.
La portion sinueuse et étroite de 40km a été avalée, ça y est. Je fais les comptes : peloton très réduit de seulement une quarantaine ! J’y suis. Il nous reste maintenant 25km larges et rapides avant d’arriver sur le circuit final. Une petite descente et le second GPM… On aperçoit Romain au loin. Attaque de 4 coureurs à droite que je ne vois pas passer. Ce seront les derniers coureurs à rentrer devant un peu plus tard. A partir de maintenant, on ne le sait pas mais on joue déjà pour la place de 14. Bien placé dans cette bosse j’hésite à y aller mais comme souvent c’est la distance qu’il reste à couvrir qui me pousse à rester assis. Dans ma tête il faut que j’en garde car ça va rentrer devant et tout se décidera dans le circuit final. Bien sur, ce ne sera pas le cas. Passe le GPM et ce sont de nouveau des bouts droits. Une équipe qu’on a peu vu jusqu’à maintenant dans les coups se place devant et se met à rouler : Avia, les belges, une aubaine pour moi ! Mais pas pour Romain qui est devant alors je me place juste derrière eux pour dissuader d’autres coureurs de les aider. On nous annonce un écart de 50 secondes avec la tête de course. Virage à droite et petit passage sur des routes étroites. Un petit groupe sort, puis un autre coureur et cette fois je vais avec, au cas où. C’est Boulongne. Après quelques relais on rentre devant, mais ça retourne à gauche pour retrouver la grande route. Derrière ça revient. Grâce à cet épisode on revient à 30 secondes de devant, échappée qu’on aperçoit comme si elle n’était qu’à une portée de fusil… Mais Avia semble coincer un peu et ne reprend rien. Le prochain écart qu’on nous annonce en haut du dernier GPM qui ressemblait plus à un gros faux plat est de 45″. Pour autant ils ne se découragent pas et roulent toujours à trois devant le peloton, moi dans la roue. Comme je les gêne, je me fais insulter en flamand. Ca me donne le sourire. Après plusieurs kilomètres comme ça, j’en ai marre, et je décide de retourner en queue de groupe, puisque jusqu’au circuit final ça risque de ne plus bouger. On n’est toujours qu’une quarantaine les uns derrière les autres, et Landry est toujours là. Je repense au briefing de ce matin : ne pas hésiter à appeler la voiture pour lui permettre de remonter. C’est le moment de prendre un bidon. Je lève le bras. Devant ça freine : une chute ? Un coureur du pôle france dans le fossé : Lecuisinier ! Il ne se relève pas. Après une petite dizaine de kilomètres, la voiture de Dom remonte à ma hauteur, il me tend un bidon. Il me conseille rapidement d’aller dans les coups qui sortiront bientôt, puis dépasse le peloton pour se placer derrière Romain devant. Je l’imite. Je sors avec un belge ou deux, mais rien ne part. Comme toujours, c’est après mon attaque que ça laisse partir ! A ce petit jeu des groupes se forment devant et je le comprends trop tard, voilà pourquoi ça laisse partir : deux coureurs d’Avia sont sortis avec ! Je retente à l’entrée du Poiré sur Vie, mais c’est trop tard. Nous voilà donc finalement sur le circuit final… Et on ne joue plus maintenant que pour la 25e place environ.
Je consacre le premier des 5 tours de ce circuit de 7km à récupérer pour agir plus tard, car les kilomètres commencent à se faire sentir. On a bien dépassé la barre des 100km et c’est loin d’être terminé. D’abord, un petit talus de 200m qui casse les jambes, puis une courte descente et enfin une bosse assez difficile et assez longue. A la vue du groupe en contre d’une quinzaine devant nous, je ne peux pas m’empêcher de rouler sur le haut de la bosse.
Dans un virage en haut d’ailleurs je dérape sur les graviers et évite une chute stupide de justesse. Ensuite, un faux plat descendant puis une vraie descente, une montée assez longue mais roulante et des faux-plats montants jusqu’à la ligne. Il reste donc 4 tours. Un petit groupe part, comme les autres, je décide d’y aller. On s’organise correctement mais c’est moi qui prends le plus gros des relais. Passe le petit talus puis le gros se profile : le groupe de contre d’une quinzaine est juste devant, à même pas 15 secondes ! Mais notre peloton n’est pas loin non plus derrière. Une douleur violente dans la cuisse me pousse à me rasseoir d’un coup : les crampes… C’est plutôt rare en ce qui me concerne mais sur une telle distance c’était difficilement évitable. Il va donc falloir que je me tienne à carreau. Au tour suivant on va ressortir avec un groupe à peine plus gros au même endroit, et se faire reprendre encore dans cette même bosse, à cause des mêmes crampes en ce qui me concerne. Plus le choix : je veux absolument assurer une place pour ne pas passer encore totalement à travers de ma course comme ça à l’air de prendre forme. Je décide donc de me réserver au maximum pour le sprint. Quelques coureurs sortiront et rentreront sur le contre, non pas qu’ils étaient forcément plus costauds que moi je pense ; mais c’était quelque chose que les crampes me rendaient incapable de faire. Parfois le moindre accoup en danseuse provoquait un début de crampe et je devais me rasseoir immédiatement sous peine de rester coincé… Finit par sonner la cloche du dernier tour.
Peu de monde ose attaquer, avant la dernière bosse précédant l’arrivée. Au moment où je me replace je maudis Romain Barroso qui tente de sortir au pied. Il reste moins de 2km. Son démarrage m’a l’air mal placé mais il est frais, et ne sera pas repris avant la ligne ; tout comme deux ou trois autres coureurs juste après. Je ne peux rien faire d’autre que de rester dans les roues sans me placer trop devant. Il faut que je déborde le plus tard possible pour ne pas prendre de crampe. Frustrant car j’ai l’impression qu’il me reste assez de réserves physiques pour peut être régler le sprint, sinon faire dans les touts premiers du groupe. On est pour la place de 30. Des coureurs en rose emmènent le sprint pour je ne sais qui. L’allure s’accélère et on passe l’avant dernier virage, il reste 400m. La tension est au max. Je suis en plein milieu du groupe et je me décale à droite pour déborder. A ma gauche un rose s’écarte totalement et derrière un gars crie “pousse-toi !” . Au même moment quelque chose accroche mon ceintre, ma roue avant se met en travers et je heurte le sol la tête la première. Je roule. Je me relève. Premier réflèxe : regarder le ciel. Encore raté. Puis : constater les dégats de cette chute et c’est là que mon regard croise Landry. J’ai l’impression de me voir, puisqu’il est dans le même état que moi exactement de l’autre côté de la route. Quelqu’un crie “laissez passer la voiture !” Des gens me prennent par le dos et par les pieds pour me déposer sur le trottoir. On me demande si ça va, bonne question, ça a l’air. Quand on y repense c’est stupide de faire 135km de course pour s’arrêter à 200m de l’arrivée. Alors je décide de remettre mon casque démoli, me relever, de récupérer mon vélo et je le porte en courant jusqu’à la ligne d’arrivée. J’ai mal partout : l’épaule, les coudes, les fesses, tout ce qui a rapé le sol. A ma roue avant il manque une dizaine de rayons, le boyau est sorti de la jante qui est en partie arrachée. Je me retourne pour voir si quelqu’un me double à vélo, ce n’est pas le cas, tout va bien. Les gens applaudissent énormément, tout le monde me regarde avec le sourire, le speaker s’enflamme.
Non ce n’est pas que j’ai gagné, mais plutôt que j’ai l’air d’un abruti à terminer a pied le casque et les lunettes de travers, une course de 135km que j’ai tenu à finir. Le sort s’acharne.