Sommières – Sommières, 107km
Je vois enfin le bout d’une semaine d’entrainement terrible en vue des championnats de France. Le samedi matin au départ de la première étape, j’ai déjà enchainé 21h de vélo depuis le début de la semaine et la veille, la séance de déblocage d’une heure me laisse toujours dans le flou sur mes sensations, puisque j’avais du mal rien qu’à pédaler rond à cause des toxines accumulées. D’un autre côté, ainsi habitué à enchainer les grosses charges, mon corps récupère mieux et à l’échauffement, je constate que la fatigue est un peu moins présente, ce qui reste confirmer maintenant sur l’étape du jour…
L’étape du jour, promet d’être déjà décisive au classement général puisque si le profil général est plutôt plat malgré quelques petits cols, elle est le théâtre chaque année d’une course de mouvement incessante et les dégâts peuvent être importants pour les perdants. A ce petit jeu, il conviendra d’avoir du flair et de bien connaître ses adversaires ; au classement général les plus dangereux seront Loic Rolland et Thomas Bouvet que j’ai côtoyé en équipe rhône alpes tout au long de la semaine à l’occasion du stage, c’est aussi le cas de Gautier Heraud qui est toujours aussi malin et difficile à maitriser. En dehors de mes adversaires habituels, on pourra compter sur Lucas Bleys, le languedocien classé dans les 10 premiers du challenge national ; ainsi que les meilleurs éléments des trois équipes étrangères que je ne connais pas, et dont je devrai forcément me méfier. Nous avons aussi des arguments malgré l’absence de Romain qui court ce week-end les championnats d’Europe. J’arbore pour la première fois mon tout nouveau maillot de champion rhône alpes aux couleurs du club, que j’ai dessiné moi-même. J’attendais ça depuis un bout de temps. Je compte en profiter !

Le soleil tape fort sur les contreforts des cévennes, une chaleur sourde, écrasante, étouffante qui enveloppe la course d’une atmosphère particulière, qui promet en tout cas de faire des dégats. J’adore la chaleur. Je ne gagne d’ailleurs quasiment que sous le soleil. Non pas que j’y voie un signe, mais je suis en confiance et ce genre de course me réussit toujours… J’aborde les premiers kilomètres avec un certain recul, je laisse se faire la course sans trop m’en sentir concerné. Les attaques sont timides. La portion de route sinueuse du départ ne donne rien et la suivante, la grande route de Calvisson, n’est pas propice aux offensives non plus. Je garde un œil sur les petits malins qui peuvent représenter un danger au général comme Thomas Bouvet, à qui je veux bien faire comprendre qu’il ne partira pas comme ça. Il faudra attendre un certain temps pour que l’échappée parte enfin, dans une phase de course particulière à l’approche du premier GPM où tout le monde se regarde et ou la faible largeur de la route ne permet pas à tout le monde de se lancer dans les roues. […] coureurs se portent ainsi à l’avant, avec Vincent Flumian, Gautier Heraud, Florian Esquer, Thomas Garcia, le belge Sam Thierens et un polonais. Je ne sais pas qui est devant puisque je n’ai pas vraiment suivi la course mais j’ai bien veillé à ce qu’aucun de mes adversaires directs n’y soit. Je sais de toute façon qu’en début d’étape, je n’ai pas de bon de sortie. Thomas, Rémy et Paul sont très motivés pour aller rouler en tête de peloton et tenter de revenir, puisqu’aucun jaune et bleu n’est à l’avant. Je ne suis pas persuadé qu’assumer le poids de la course à ce moment là soit la meilleure solution.

Le premier GPM arrive donc et avec lui la première occasion de juger de mon niveau de performance de ce week end. Je suis surpris de monter haut en pulsations dès le pied de la bosse alors que je sors d’une semaine à 21h, je suis même presque mis en difficulté lorsque ça accélère sur le sommet mais je suis malgré tout présent sans trop de souci aux abords de la tête du groupe. Ca ne monte pas plus d’un kilomètre et très rapidement, on bascule de l’autre côté. La descente n’est pas longue non plus et une fois en bas, c’est le statut quo général, et l’échappée parvient maintenant à prendre du champ.
Je m’ennuie un peu et passe mon temps à l’arrière. Vincent nous demande de laisser faire pour le moment et me conseille de lancer la course dans le GPM suivant. C’est bien noté. Je remonte les bidons. Je ne peux pas m’empêcher un peu plus loin après une petite côte de placer une attaque lorsque le moment est propice. J’emmène avec moi Tony de Stéfanis et un Polonais pour quatre ou cinq kilomètres en contre, mais le peloton s’affole derrière et ne nous laisse pas de champ. Je me fais plaisir même si c’est vain, et par la même occasion, j’évite à l’échappée de prendre trop d’avance. Le rythme devient plus régulier lorsqu’on aborde le demi-tour, alors que je reconnais les routes sur lesquelles on roulait encore au stage cet hiver. Je me concentre à rester placé mais rien de plus pendant un long moment.

Alors que le GPM approche une grosse chute se produit derrière moi, dans les 20 premières positions. Le pied n’est plus qu’au fond de la ligne droite. Tant pis pour les malchanceux, j’ai décidé que la course basculerait ici et ça ne pourra que m’aider dans ma tache. Le rythme est élevé dès le pied après l’attaque de Loic Rolland que je suis en second rideau, en 4 ou 5e position. Lorsqu’il coupe son effort, c’est le moment idéal pour un contre. J’accélère de 2 ou 3 km/h encore pour monter à bloc sur 100 mètres de plus. Derrière moi, le peloton est entrain d’exploser. Je suis relayé par Rolland qui s’est fait violence pour rester à ma hauteur mais que je sens à la limite. Le sommet approche, je connais cette bosse très bien, j’y passais déjà en stage avec le club de Pierre Bénite. Le sommet n’est pas vraiment figuré mais la pente se casse en plusieurs petites rampes entrecoupées de portions faciles. Un groupe soudé d’une douzaine de coureurs se forme et lorsque je me retourne alors que le groupe est déjà bien organisé, je ne distingue plus personne derrière. A peine plus loin, j’aperçois le groupe des six de tête en contrebas. La course a bien pris un tournant définitif comme c’était prévu et tant pis pour ceux qui n’ont pas pris le bon wagon.
Seul Paul m’accompagne à l’avant. On retrouve la majorité des hommes forts ainsi que deux ou trois passagers clandestins qui se sont accrochés aux roues. Quoi qu’il en soit, jusqu’à reprendre le groupe de tête à peine après le pied de la descente, l’entente est sans faille. Un peu plus loin, c’est moins le cas. A 18 coureurs, plus personne devant, aucun de nous n’a d’intérêt à se sacrifier à rouler. Je m’en agace d’ailleurs, jusqu’à balancer de l’eau à la figure d’un espagnol insupportable, ce qui me soulage largement. Je sais qu’il vaut mieux pourtant me faire oublier car après un tel regroupement, le groupe menace de casser de nouveau sous les offensives. Ce sera le cas après quelques kilomètres et je sens venir le mauvais coup : deux coureurs de Bourg en Bresse, Tony de Stéfanis avec le stéphanois Gautier Heraud, qui s’en vont ensemble sans que personne ne les prenne au sérieux. Du pain béni pour leur leader Loic Rolland, si on excepte le fait qu’il est maintenant isolé devant.

Pendant une vingtaine de kilomètres, il s’agit de trouver sa place au sein de la hiérarchie du groupe. Je suis l’un des plus forts mais je ne dois pas trop le montrer pour éviter d’avoir à assumer le poids de toute la poursuite sur mes épaules. Je dois pouvoir arriver au même résultat en utilisant la (petite) bonne volonté des autres. Paul me donne de grands coups de main. Un groupe de 16, c’est forcément très difficile à organiser et les deux de devant creusent un gros écart, bien supérieur à la minute, à force de relais sautés et de cassures de rythme derrière. Malgré tout, la faute au paysage aride du pays de Sommières, ils restent en point de mire la majorité du temps. J’ai du flair et parviens à lancer un coup de trafalgar une fois de retour sur la grande route de Calvisson, c’est-à-dire à deux pas de l’entrée sur le circuit final. J’emmène avec moi Lucas Bleys, Thomas Garcia, Loic Bouchereau et malheureusement accroché au porte bagage de justesse, Loic Rolland.
Sur cette longue ligne droite dégagée, il s’agit de profiter du statut de Rolland dans l’échappée. Il n’est pas très difficile à convaincre. En lui disant que le classement général se joue maintenant, il passe sans broncher alors que les deux échappés sont ses deux coéquipiers ! Je me passe bien de faire des remarques puisque pour une fois c’est totalement dans mon intérêt.
Lorsqu’un homme avec la veste de Bourg en Bresse sur le bord de la route s’en offusque et lui crie qu’il ne doit pas rouler sur « Tony » (son père sans doute ?), Rolland s’arrête tout naturellement comme si c’était une évidence depuis le début. Cette attitude irrite tout le monde dans le groupe de contre et on se ligne contre lui suivant une stratégie bien simple : il y a vent de côté, on tourne 2 ou 3 kilomètres heure plus vite, ce qui l’oblige soit à prendre tout le vent derrière, soit à rouler dans les graviers. (J’ai entendu dire par la suite plein de monde louer la cohésion parfaite de l’équipe de Bourg ? J’y reviendrai…)
De retour sur une petite route, nous voilà entrés sur le circuit final. Il ne reste donc plus que 20 kilomètres. Les deux de tête ne sont plus qu’à une portée de fusil et résistent bien, mais leur cause est perdue. Ils sont repris quelques kilomètres plus loin.
L’entente est assez cordiale puisque mon argument du classement général convient à peu près à tout le monde. Cela me permet de repousser l’échéance de la bataille pour la victoire d’étape, la seule qui m’intéresse en fait. Cette échéance a lieu comme je m’y attendais dans la dernière ascension répertoriée mais cela ne m’empêche pas de me faire surprendre bêtement par l’attaque de Loic Rolland. Il prend 10 mètres au pied et je compte sur les autres pour boucher le trou. Seulement, les autres n’y parviennent pas et le temps que je le réalise, l’écart augmente, me voilà contraint de faire l’effort moi-même. Il me faudra un peu plus de la moitié de la bosse pour reprendre 5-6 secondes sur lui. Je me sens un cheveu plus fort mais j’ai du laisser plus de watts que lui dans cette ascension, je n’ai donc plus assez de jus pour l’attaquer à ce moment où j’aurait pourtant dû si je voulais gagner en solitaire. Si on bascule à plusieurs au sommet, l’arrivée se jouera au sprint et je le sais. Cela ne me désavantage pas forcément quant à la victoire, même si j’aurais aimé gagner seul ce que je n’ai pas fait depuis longtemps, mais pour ce qui est du classement général, j’y laisse peut-être passer ma plus grosse chance (c’est du moins ce que je pense à ce moment là).

Au sommet, je laisse Rolland passer en tête, alors que Bleys nous suit à quelques 5 secondes. Il fait l’effort puis parvient à recoller au bas de la descente, profitant d’un logique moment de récupération. Nous sommes trois pour la victoire d’étape, les trois que nous serons pour la victoire finale.
Avec Loic Rolland et Lucas Bleys, je me retrouve avec deux coureurs difficiles à maitriser. Je connaissais l’imprévisibilité tactique de Rolland, mais pas l’esprit de Bleys. Je faillis m’y faire piéger lorsque je laisse de force le relai à Bleys qui se reposait un peu trop à mon goût. Il ne veut pas boucher le trou pour autant. Je déteste ce comportement. Je l’attaque alors violemment pour tenter de rentrer seul sur Rolland. A ce moment, j’étais à deux doigts de tout perdre d’un seul coup mais je n’aurais pas supporté de voir Rolland lever les bras seul, surtout pas au terme de cette étape. Je me remets en danseuse pendant une minute, je supporte un peu plus d’acide lactique, jusqu’à finir par reprendre Rolland avec Bleys dans la roue.
A partir de ce moment, je suis hyper vigilant et je mise tout sur une arrivée au sprint. Je le leur fait bien comprendre et je suis compris. Je sens qu’ils sont presque déjà résignés à me voir gagner l’étape, puisqu’ils me savent plus rapide, d’où la manœuvre désespérée de Bleys sous la flamme rouge que je contiens immédiatement et facilement. Je parviens quand même à me faire surprendre par Rolland lorsqu’il lance le sprint beaucoup plus tôt que ce que je pensais et ce n’est pas une mauvaise idée puisque je pensais le lancer. Mais la raison de ce choix tactique, je m’en rends compte peu de temps ensuite, c’est qu’il croyait le dernier virage 100 mètres plus tôt. Je le déborde avec plus de puissance et prends mon virage à la perfection comme lors des championnats Rhône Alpes : je n’ai plus qu’à donner quelques derniers coups de pédale et à lever les bras. Je m’impose pour la 6e fois, devant Rolland et Bleys dans le même temps, le premier groupe de poursuivants étant pointé à 44 secondes.

J’endosse donc également le premier maillot jaune et me rappelle aux bons souvenirs du Tour de la CABA. Il sera malgré tout très difficile à défendre le lendemain sur le contre-la-montre roulant de 9 kilomètres face aux deux bons rouleurs que sont Rolland et Bleys bien que le parcours m’avantage moi plutôt qu’eux. Surtout, j’ai réussi à éliminer Thomas Bouvet qui s’annonce comme l’immense favori de ce contre-la-montre puisqu’il concède plus d’1’40. Paul, lui, termine très correctement à la 10e place, même s’il n’est plus dans la même forme qu’à d’autres périodes de la saison. Valentin et Thomas terminent 21 et 24e dans le peloton à pas moins de… 11 minutes ! Rémy, quant à lui, parvient miraculeusement à rentrer dans les délais, comme toujours, en terminant à plus de 30 minutes.